mythes • rituel • gestalt     

Le voyage du héros

“Dans les cultures anciennes, l'art a toujours fait partie intégrante de la thérapie

“Guérir consistait

à vous impliquer

dans tout votre être”

La gestalt, c'est de l'art

Paul Rebillot


“La thérapie est travail de l'âme, l'art est le langage de l'âme.”

Paul Rebillot parle ici d'équilibre personnel, de gestalt, de rites de passage, et des principes sur lesquels il s'est appuyé pour créer ses parcours expérientiels et, pour commencer, Le voyage du héros en 1973. Un texte passionnant par un des pionniers de la gestalt…

Ohad Naharin, Batsheva Dance Company, Last work, Photo Gadi Dagon

  “Déployer la scène intime, c'est l'éprouver à tous les niveaux de votre être”

“Votre déclaration existentielle

résume ce que vous

avez découvert”

“L'occasion de vivre

un rite de passage”

“Vivre les aventures dramatiques du héros, structurées sous une forme artistique, c'est aborder la gestalt ensemble”

“Franchir les étapes

de notre vie

en toute conscience,

et en assumant

la pleine responsabilité

de ce qui nous arrive”

“Il y avait dans cette identification une

expression émotionnelle”


Rétablir l'harmonie de l'âme

La thérapie est travail de l'âme, l'art est le langage de l'âme. Que ce soit à travers la poésie, les arts plastiques ou la danse, c'est l'art qui fait entrer nos âmes en résonance. La science et la philosophie sont le langage de l'esprit, et quand on travaille avec quelqu'un sur le plan psychologique, c'est un travail de l'esprit. Mais c'est aussi et avant tout un travail de l'âme, ce qui, justement, est à la base de l'art. Quand on communique à travers la poésie ou la danse, on communique au niveau de l'âme.

Quand j'ai commencé à développer mes parcours expérientiels, je travaillais depuis longtemps déjà dans le champ artistique. C'est donc tout naturellement que j'ai fait appel à l'expression artistique — la peinture et le dessin, ainsi que la sculpture, l'improvisation, la danse, le chant… tous les arts plastiques et vivants. Cela a un jour incité Stan Grof à me présenter comme l'homme qui avait “introduit l'art dans la thérapie”, ce qui n'était pas pour me déplaire. Toutefois, Stan avait invité le soir même un chaman indien Quichol à venir pratiquer un rituel. Or cet homme, chantait, dansait … Ce qu'il faisait, c'était de l'art. Je me suis alors dit que, non, je n'ai pas “introduit l'art dans la thérapie”; j'ai redonné à l'art la place qui était la sienne.

En effet, dans les cultures anciennes, l'art a toujours fait partie intégrante de la thérapie. Dans la culture grecque antique, par exemple, les gens se rendaient dans les lieux de guérison quand ils se sentaient en dissonance dans leur vie, ce qui est le propre du mal-aise ou maladie, une perte d'harmonie ou d'équilibre. Un prêtre les accueillait et leur donnait une substance pour dormir et rêver. La personne s'assoupissait et rêvait jusqu'à ce que lui apparaisse un serpent, symbole du dieu Esculape. Plus tard, la personne confiait son rêve au prêtre, qui l'interprétait et lui prescrivait un remède. Ensuite, la personne se rendait au gymnase, auprès d'un danseur qui lui enseignait les danses qui apaiseraient la maladie.

Puis on allait au théâtre voir la pièce qui traitait de son problème au niveau de l'âme, car le déséquilibre physiologique est aussi signe d'une discordance spirituelle. À cette époque, le public se sentait réellement partie prenante de l'action qui se jouait au théâtre. Chacun s'identifiait au personnage principal et vivait une expérience cathartique de la relation entre les archétypes, dieux et déesses, et l'humain, mortel.

Enfin, on se rendait au temple indiqué pour la nature de la maladie, et on y était initié afin de réintégrer le contact avec le dieu ou la déesse avec qui on s'était trouvé en dissonance.

C'est ainsi que l'on retrouvait l'équilibre. Guérir ne consistait pas à aller à l'hôpital et à se faire opérer; cela consistait à s'impliquer dans tout son être.

De nos jours, quand nous allons au théâtre, le drame se déroule dans un carré de lumière cerné d'obscurité. On a bien souvent du mal à entrer dans l'action. Dans le théâtre grec antique, la pièce se déroulait au centre de l'environnement. Avec le ciel au-dessus de lui et la baie ou Corinthe derrière lui, l'acteur évoluait au milieu d'une scène cosmique. Les spectateurs pouvaient aussi se voir les uns les autres d'un bout à l'autre de l'amphithéâtre. Tout était connecté. Et quand l'acteur se laissait pénétrer par ce qu'il éprouvait, le public aussi était rempli de ce qu'Aristote appelait la pitié et la peur, la catharsis, un cri de douleur primitif.

Il y avait dans cette identification une expression émotionnelle, tout comme dans les danses pratiquées au gymnase. Être initié aussi était une forme d'expression émotionnelle, car je suis certain que les initiations consistaient d'une certaine façon à incorporer le dieu et à éprouver sa puissance. Les danses de Dionysos qui ont marqué le début du théâtre étaient des expériences extatiques. Elles permettaient aux mortels d'éprouver l'existence de Dionysos.

Ainsi, en ces temps anciens, les gens qui cherchaient à guérir bénéficiaient du concours de prêtres, de danseurs, et d'acteurs. Mais c'est à eux seuls qu'il revenait de travailler sur soi. Aujourd'hui, la guérison est plus perçue comme quelque chose que quelqu'un d'autre fait pour celui qui est malade ou en dissonance. Or nous devons revenir à l'idée que la guérison est quelque chose qui relève de nous-mêmes. Quelqu'un d'autre peut me servir de guide, mais je dois découvrir par moi-même ce qui peut me soulager.


Apprendre à partir de notre propre expérience

En tant que forme thérapeutique expérientielle, la gestalt est la manière de découvrir et d'apprendre par soi-même, en l'ayant vécu et éprouvé, ce que l'on a besoin de faire. Dans sa forme la plus simple, la gestalt ne s'intéresse pas à ce qui vous est arrivé à l'âge trois ans ou aux traces laissées par votre éducation, elle met l'accent sur la façon dont vous vous y prenez pour obtenir ce dont vous avez besoin.

Êtes-vous satisfait de la façon dont vous vous y prenez? Que ce soit pour obtenir un verre d'eau ou pour établir un contact, êtes-vous clair et direct? Faites-vous appel à la manipulation ou vous efforcez-vous de séduire l'autre afin qu'il vienne vers vous? Êtes-vous content de vous ou pas?

Si cela vous convient, il n'y a rien à faire. Si vous êtes content de la façon dont vous obtenez ce dont vous avez besoin, de quelque façon que ce soit, il n'y a rien à faire. Mais si vous vous sentez mal à l'aise ou si on vous fait des commentaires qui vous rendent malheureux, si vous vous sentez en disharmonie vis-à-vis des autres et en déséquilibre avec vous-même, alors le moment est venu d'examiner vos autres possibilités. Et si vous pouvez en identifier, de vous demander si vous êtez prêt à en essayer une ou plusieurs. Êtes-vous prêt à changer? Tout cela, c'est la base de la gestalt.

Quand on s'aperçoit qu'on n'obtient pas ce dont on a besoin comme on aimerait le faire, tout ce qui se trouve en travers du chemin, obstacles et résistances, refait surface. Si on cherche à vivre de façon plus satisfaisante, il faut apprendre à démêler l'embrouillamini.

Une séance de Gestalt typique, telle que j'ai appris à la pratiquer, commence par se centrer sur ce dont on a conscience. “Que se passe-t-il? Que ressens-tu?” Richard Price, auprès de qui je me suis formé, recommandait de toujours commencer par le corps. Vous explorez ce que vous ressentez corporellement et moi, dans mon rôle de guide, j'observe si ce que vous décrivez s'inscrit bien dans l'ici et maintenant.

Par exemple, si vous dites: “Je sens ma main sur mon visage, je suis conscient de la chaleur de ma main sur ma jambe, je suis conscient du fardeau qui pèse sur mes épaules”… je regarde vos épaules et je n'y vois pas de fardeau. Il y a donc quelque chose qui cloche, ici et maintenant, dans cette description. Cela offre matière à creuser et indique où, dans votre corps, la résistance se manifeste. Pour résumer, la première étape consiste donc toujours à se mettre en contact avec ce que vous ressentez et à en prendre conscience.

L'étape suivante consiste à vous mettre en position d'assumer la responsabilité de tout cela: prendre en charge le fardeau que vous vous imposez, bien le sentir, en rajouter, et éprouver vraiment ce que vous vous faites vous-même, à vous-même. À mesure que vous intensifiez cela, des émotions commencent à émerger, et leur expression s'accompagne souvent d'une image, car on n'a jamais d'émotions dans le vide. Si vous tapez sur un coussin, c'est bien parce que, derrière lui, y a quelqu'un que vous souhaitez frapper — ce n'est pas le coussin qui vous met en colère! Le coussin vous procure simplement l'occasion d'exprimer cette émotion.

Dès lors que l'émotion émerge, je peux, dans mon rôle de facilitateur, chercher à identifier la scène dans laquelle se déroule l'action dramatique en cours. Il peut s'agir de la relation avec une autre personne, ou d'un conflit intérieur.

C'est là, dans mon travail, que se manifeste le metteur en scène. Je capte la scène en cours; je m'efforce de comprendre en quoi elle consiste. Puis, comme si je mettais en scène une pièce de théâtre, j'invite les protagonistes à venir s'exprimer, ici et maintenant. Car si l'esprit vit dans le passé ou le futur, les émotions, elles, n'existent que dans le présent. Donc, pour ramener le passé dans l'ici et maintenant, pour introduire l'image dans l'ici et maintenant, j'utilise mes compétences de metteur en scène de théâtre pour que vous puissiez vivre et éprouver la scène.

Quelles sont les qualités de ce protagoniste? Que veut-il? Et l'autre, qui est-il? Que se passe-t-il? En alternant les deux rôles, vous pouvez vous faire une idée de ce qui se passe, de vos résistances et des difficultés que vous rencontrez pour obtenir ce dont vous avez besoin.

Selon Fritz Perls, l'expérience la plus utile pour un gestalt-thérapeute n'est pas la psychologie ou l'analyse, mais le théâtre car, disait-il, une personne de théâtre perçoit d'emblée si quelqu'un est vivant et pleinement engagé dans l'action dramatique ou s'il est juste dans sa tête à se raconter des histoires. L'expérience du théâtre aide à ressentir votre degré d'engagement. Or sans engagement, la gestalt ne peut pas s'agréger.

Quand l'émotion est aspirée par le mental comme cela arrive souvent en thérapie, on laisse de côté un aspect essentiel de l'ici et maintenant: la façon dont l'émotion s'exprime par le biais du corps. Le premier moyen d'expression d'un bon acteur, c'est son corps . Son corps est son instrument de musique, son corps et sa voix. Ensuite vient le mot. De même, jouer la scène intérieure constitue un processus thérapeutique efficace, car vécu à tous les niveaux de l'être.

En général, la scène provient du passé, mais elle est souvent en rapport avec une difficulté présente, sinon elle ne serait pas réapparue. Il est donc essentiel, en tant que facilitateur, de faire en sorte que la personne concernée identifie ses ressources et ce sur quoi elle peut jouer pour résoudre son problème.

Si une résolution satisfaisante du conflit intérieur est trouvée, le facilitateur aide la personne à formuler une déclaration existentielle qui résume ce qu'elle a découvert. Si la personne n'a rien découvert, elle cherche une déclaration existentielle qui exprime l'impasse dans laquelle elle se trouve. “Je ne communiquerai jamais avec personne” est une impasse. “Je peux être plus honnête envers toi”, exprime une possibilité de changement. Pour clore la séance de gestalt, cette déclaration existentielle doit être affirmée, ici et maintenant, face à d'autres personnes.


Respirer tous ensemble    

Ce que je viens de décrire, c'est une session individuelle de gestalt: chacun travaillant à tour de rôle en présence du groupe, ce qui est la façon dont la plupart des groupes de gestalt sont animés. Quant à moi, venant de l'univers du théâtre,  j'ai dès le début perçu la pratique de la gestalt sous cet angle. […]

Dans le théâtre professionnel, tout tournait la plupart du temps autour du star system. À New York en particulier, le premier rôle allait à une vedette puis tous les autres rôles étaient attribués de façon à ce que personne ne lui fasse de l'ombre. C'était l'étoile. Je n'ai jamais aimé ce genre de théâtre parce que cela supposait que tout tourne autour de l'étoile ou du premier rôle. Or, la première fois que j'ai assisté à des séances individuelles de gestalt conduites en groupe, cela m'a rappelé le star system. Face au groupe, il y avait le facilitateur ou le gestalt-thérapeute et “la star”, la personne qui travaillait. Et autour d'eux, il y avait le public.

Dans le théâtre amateur, il n'y a pas vraiment de star parce tout le monde est plus ou moins égal; on travaille ensemble. J'ai toujours travaillé avec l'idée de constituer un ensemble, faisant en sorte que tous contribuent à monter la pièce. J'invitais les comédiens à échanger leurs rôles, de façon à éprouver la pièce sous tous ses angles. J'avais pour coutume d'affirmer que chacun compte, que ce soit celui qui tire le rideau ou celui qui prononce la phrase la plus dramatique de la pièce: tous sont d'égale valeur, parce que si le rideau descend une seconde trop tard ou trop tôt, cela peut ruiner la fin de la pièce, au moment-même où vient d'être prononcée la phrase qui lui donne tout son sens. La pièce elle-même est une sorte de créature: elle respire, chaque rôle respire, et tout cela respire comme un seul être vivant. Telle était ma façon d'enseigner et de diriger.


Vivre des parcours expérientiels

C'est pourquoi, quand j'ai commencé à pratiquer la forme gestalt, je me suis mis en tête d'appliquer ce principe — qui m'a amené à créer mes parcours expérientiels.

Au début des années 70, j'intervenais comme thérapeute dans un hôpital, auprès de médecins et d'infirmiers qui travaillaient avec des patients en phase psychotique. L'une des infirmières mentionna qu'elle se sentait envieuse du niveau de conscience atteint par ceux qui venaient de traverser une telle expérience et en sortaient réunifiés. L'idée me vint alors de créer un processus qui permettrait aux médecins et aux infirmières de passer par cette expérience et de vivre un rite de passage.

Puis un jour, un de mes anciens étudiants en théâtre depuis passé à la psychologie me proposa de venir faciliter un groupe de week-end au Lone Mountain College à San Francisco. J'étais alors gestalt-thérapeute et je supposai que c'était le type d'intervention qu'il attendait de ma part. Mais il répondit: “Non, je préférerais que tu fasses quelque chose de plus archétypal, comme ce que nous explorions dans nos activités théâtrales.” C'est ainsi que j'ai eu l'occasion de monter pour la première fois Le Voyage du Héros, et de la faciliter pour ce groupe d'étudiants, un week-end de 1972.

En m'appuyant sur les principes de la gestalt, j'ai structuré le processus comme si c'était une pièce, proposant aux participants de vivre les aventures dramatiques du héros, structurées comme une forme artistique. C'était mon premier parcours, et c'était ma façon d'aborder la gestalt ensemble. En effet, on ne se contentait pas de regarder quelqu'un d'autre travailler: tout le monde travaillait tout le temps au fil de ce parcours structuré selon la philosophie de la gestalt. []

[L'ensemble des] processus [que j'ai conçus] recouvrent les tournants clés de la vie. Nous passons tous par là mais nous n'en sommes pas toujours conscients. Les explorer par le biais de structures comme celles que j'ai créées nous en rend plus conscients. C'est à cela que servent les rituels. Les rituels de passage amènent à la conscience les moments de transition qui ponctuent nos vies. Cela nous donne la possibilité d'y cheminer non plus comme un animal lâché dans un labyrinthe, mais en ayant  pleinement conscience de ce que représentent ces moments de transition, et cela élargit notre perception de nous-même comme des autres. […]

Éprouver en profondeur les moments clés de notre évolution personnelle par le biais de rites de passage nous aide à franchir les étapes de notre vie en toute conscience, et en assumant la pleine responsabilité de ce qui nous arrive. Tels sont les deux piliers de la gestalt: la conscience, et la responsabilité. Autrement dit… Quelle expérience suis-je en train de vivre? Comment est-ce que je m'en sors? Qu'est-ce que je fais pour que ça se passe comme ça?

C'est ce qui fait que mes parcours ne sont pas seulement des processus pour se rétablir. Ce sont des processus de gestalt. […]

Comme le disait Rumi, “Faites en sorte que la beauté que vous aimez soit ce que vous faites”.

P.R

Traduction Catherine Lagarde

“Travailler tous ensemble, sans star system”

“Découvrir par vous-même

ce qui peut vous soulager”


“Assumer la responsabilité de ce que vous ressentez”

“Comment vous y prenez-

vous pour obtenir

ce dont vous avez besoin?”