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Le voyage du héros

Des histoires, une histoire

Il y a histoire et histoires. Le sens varie selon que l'on en parle au singulier ou au pluriel. Nous faire conter une belle histoire quand nous étions enfants, c'était le rêve. Adultes, nous lisons nous-mêmes, nous allons au cinéma ou au théâtre ou nous regardons des séries. Les histoires, c'est autre chose. Faire des histoires, ça complique la vie. Raconter des histoires ou, pire, se raconter des histoires, c'est mensonger. Puis il y a les mythes, histoires d'une humanité intemporelle. Des histoires inventées… et pourtant véridiques! Des histoires faites pour résonner en nous au-delà des mots.

Le Voyage du héros est avant tout ce qui les sous-tend. On le présente généralement sous la forme d'un itinéraire au fil duquel s'enchaînent diverses séquences, au risque de le réduire à un “dispositif” narratif, mécanique. Scénaristes et écrivains y font appel pour élaborer leurs fictions cinématographiques ou littéraires. Et des intervenants de tous bords vous invitent à réécrire votre propre parcours de vie en vous attribuant le beau rôle, celui du héros appelé à écraser de perfides adversaires.

En réalité, le Voyage ne nous propose pas d'examiner notre vie sous l'angle des événements qui l'ont ponctuée. Il nous invite au contraire à nous dégager de notre biographie pour nous placer sous le signe de l'intemporel.

C'est une puissante métaphore des forces qui s'affrontent quand se manifeste en nous le désir de vivre plus pleinement.

C'est ce que visait Paul Rebillot quand il a créé en 1973 un parcours collectif de sept jours qu'il a été le premier à nommer Le voyage du héros.

Le Voyage est l'occasion de renouer avec les forces vitales en soi, d'affronter sa part d'ombre, et de découvrir sous un jour nouveau la façon dont on souhaite mener sa vie désormais.

Pourquoi choisir d'embarquer pour ce parcours et que peut-on en espérer? La décision des Voyageurs est généralement inspirée par l'impression que leur vie est “plate” et le désir de mener une vie “pleine”, et elle est déclenchée par ce qui se présente comme un “appel”.

La vie plate

La vie plate est souvent marquée par une tension émotionnelle entre ce que l'on donne à voir et ce que l'on ressent intérieurement.

De l'extérieur, la situation peut sembler calme (voire inerte) ou active (voire trépidante). Mais le vécu intime, lui, témoigne d'une cuisante intranquillité.

On peut masquer ce vécu en se leurrant et en se racontant des histoires. Le travail, la famille, la maison, les projets?… Formidables!

On peut aussi en avoir conscience et même en parler: ce qui ne va pas, c'est dû aux circonstances extérieures. Par conséquent, la solution dépend, elle aussi, de l'extérieur. Ainsi pullulent les applications, outils et robots divers censés contribuer à notre mieux-être. Ou les pratiques et substances visant à nous anesthésier.

Dans tous les cas, nous nous tenons à distance de notre vérité intérieure et nous vivons dans l'illusion. La vie plate est-elle toujours douloureuse pour autant? À coup sûr, elle manque de sel — de sens… Elle se place fréquemment sous le signe du devoir. Il semble qu'il y ait toujours un “Finis d'abord”.

“Finis d'abord”… tes études, de prouver que tu es bon dans ton travail, d'élever tes enfants, de réaménager ta maison, d'assurer la stabilité de on entreprise, d'assurer le bien-être de tes parents vieillissants… “Après, on verra…”

La vie pleine

Quant à la vie pleine, vue de l'extérieur, elle semble peu différente de “celle d'avant”: vous vous occupez de ceux que vous aimez, vous allez au travail, vous changez les draps…

Mais pour peu que vous vous soyez permis d'éprouver pleinement l'aventureuse rencontre intérieure que représente le Voyage du héros, ce qui se passe vous apparaît désormais sous un autre jour. Votre présence — à vous-même et aux autres, à vos actes et à vos choix — a changé de registre. Vous avez trouvé un souffle nouveau.

Vous savez désormais observer et ajuster la dynamique entre vos sensations, vos émotions et votre imagination, et cela met dans votre vie son grain de sens. Vous vous apercevez que vous avez gagné en finesse, on vous trouve plus avisé.

Dans les termes de Frances Wickes: “On revient à la vie d'avant; mais l'ancien est aujourd'hui nouveau parce qu'une compréhension renouvelée le vivifie et le transforme”.

Que s'est-il passé? Vous vous êtes offert la possibilité de vous dégager des pressions quotidiennes pour partir à la recherche de la personne que vous pressentez être vraiment.

Vous avez découvert que ce qui vous empêche de vous sentir vivre pleinement ne réside pas hors de vous, mais que c'est bel et bien cette part, en vous, qui ne veut rien savoir de ce qui vous manque. Et vous avez su initier et laisser se déployer, toujours en vous, le dialogue fécond entre vos aspirations et vos préventions… jusqu'à les articuler dans une dynamique renouvelée.

L'appel

Tout aura commencé avec “l'appel”, ce désir d'autre chose qui ne se satisfait plus de votre vie plate et des histoires que vous vous racontez.

L'appel ne vous invite pas à prouver qui vous êtes. Il vous invite à venir découvrir un “qui vous êtes” sous-jacent, encore silencieux pour le moment. Il vous invite à venir pressentir sa réalité à votre façon à vous, à vous en laisser pénétrer, et à déterminer comment vous pouvez lui faire place dans votre vie.

L'appel vous dit, “Allez, ça suffit maintenant, le jeu du ‘Finis d'abord, on verra plus tard’, les tergiversations, les diversions, la léthargie… Assez de valse-hésitation… Décide-toi!”

On entend rarement l'appel la première fois qu'il se présente. Vous pouvez l'avoir confondu avec un changement extérieur que vous aurez cru salvateur sur le moment (“Enfin du nouveau!…”). Mais ce nouveau lieu de vie, ce nouveau job, ce nouveau groupe d'amis… n'auront finalement rien changé. Sous les atours de la nouveauté, vous avez en fait donné dans le “toujours plus de la même chose”. Ce qui se présentait comme un changement s'est finalement révélé n'avoir été qu'un détour de plus sur votre chemin, vous ramenant à proximité de votre point de départ.

Quelle peut en être la raison? Une fois entendu, l'appel peut sembler une porte ouverte sur le danger. Il apparaît porteur d'une promesse, mais de quoi…? On ne sait pas. À la différence de ce qui se passe dans l'univers commercial, il ne s'assortit pas d'une description objective des “take-aways”  — ce avec quoi vous allez repartir, et dont vous noterez l'intérêt de un à cinq.

Donc, vous vous demandez ce qui va bien pouvoir vous arrivez si vous répondez à l'appel. Une imagination débridée peut vous faire entrevoir toutes sortes de risques effrayants… Pourtant le Voyage du héros n'a jamais amené qui que ce soit à des décisions radicales, bien au contraire.

À l'inverse, il est difficile d'imaginer ce à quoi le Voyage peut vous mener puisque, par nature, il s'agit d'un plongée dans l'inconnu! La promesse est inconnue. Le résultat est inconnu. Toute prédiction est impossible.

En revanche, choisir de répondre à l'appel ne présente finalement qu'un seul risque, celui de la vérité due à soi-même. Ce risque s'accompagne toutefois d'une garantie: cet appel, c'est le vôtre et celui de personne d'autre. Personne d'autre que vous ne va déterminer en quoi il consiste, ni ce que vous allez en ferez. Tout dépend de votre bon vouloir.

“Voyageur, il n'y a pas de chemin, le chemin se dessine à mesure que tu avances”, nous rappelle Antonio Machado.

Alors, rester frileusement à l'abri de nos habitudes  et nous satisfaire de vivre en trompe-l'œil? — Ou tenter l'aventure?

T.K. et C.L.


Une puissante métaphore des forces qui s'affrontent quand se manifeste en nous le désir de vivre plus pleinement

“Finis d'abord!

Après, on verra…”

“On revient à la vie d'avant; mais l'ancien est aujourd'hui nouveau parce qu'une compréhension renouvelée le vivifie et le transforme”

Vie plate, vie pleine et appel

Tony Khabaz et Catherine Lagarde


Tsherin Sherpa, Kathmandu Express

“Allez, ça suffit maintenant, le jeu du ‘Finis d'abord, on verra plus’, les diversions, la léthargie… Assez de valse-hésitation… Décide-toi!”